Tes joueuses préférées ne sont pas des super-héroïnes

“Guess who’s back, back again. Loan’s back, tell a friend.” Hey ! Comment ça va depuis la dernière fois ? Ouais, je sais, ça fait pas mal de temps que l’on ne s’est pas vu. Mon premier papier ici a quand même eu le temps de fêter son premier anniversaire avant que le second ne paraisse, le temps passe vite dis donc… Bref, si je suis de retour, c’est pour parler de santé mentale, un sujet sensible dans les faits, mais qui pour moi ne devrait plus l’être aujourd’hui. Comme d’hab’, je vais te dire comment j’en suis arrivée à te raconter mes pensées dans cet article.

En fin d’année 2021, on a tous pu apprendre sur Instagram que Julie Allemand avait fait un burn-out lors du dernier trimestre de l’année. Une annonce qui m’a quand même laissée le cul calé non pas entre deux chaises, mais entre deux émotions très distinctes. Je m’explique : au départ, quand Julie ne joue plus, toute la sphère basket croit à une blessure, avec moi, qui travaille chaque match à LDLC ASVEL Féminin et qui suis relativement proche du staff et de la direction pour avoir écho de nouvelles pareilles, dans ce cercle. Mais comme tous les autres, j’ai dû croire que ma meneuse préférée avait mal au pied et allait être écartée des parquets indéfiniment.

Ne pas avoir de date de retour approximative pour une blessure si classique ? Oui, il est vrai que ce mensonge paraissait déjà louche depuis sa genèse. Et le 31 décembre 2021, tout le monde est au courant de la supercherie. Donc en lisant toutes les explications de la meneuse belge, j’essaie d’assimiler tout d’abord qu’on m’a menti – et je suis loin d’apprécier la chose – puis aussi de comprendre ce qui pousse quelqu’un à mentir là-dessus aujourd’hui. C’est normal de craquer des fois, non ? S’il y a bien un monde dans ce multiverse où tout le monde est au top de sa forme 365 jours à l’année, ce n’est pas la Terre 616 (petite ref’ pour ceux qui l’auront). Mais d’un côté, ce mensonge aurait pu être enterré à six pieds sous terre et personne à part les concernés n’en aurait eu vent, donc c’est aussi très appréciable que Julie Allemand s’ouvre à ses fans et explique ce qui s’est vraiment passé.

Donc en face de moi après avoir pris trois jours pour digérer les infos, j’ai deux ressentis très contradictoires. D’un côté, je trouve ça désolant qu’aujourd’hui, une joueuse professionnelle de basket, qui joue avec seulement un mois au grand maximum de vacances sur douze au total se doit de cacher au public les immenses sacrifices qu’elle fait tout au long de la saison pour qu’elle puisse ajouter des titres nationaux et internationaux aux palmarès de ses clubs et de son pays. Mais aussi en face, on voit que la parole arrive à se libérer de nos jours sur de tels sujets, car comme je l’ai dit précédemment, personne n’aurait pu le savoir si Julie n’avait pas décidé d’en parler. Donc voilà ce qu’on va faire aujourd’hui : on va parler de santé mentale sans tabous, parce que là y’en à marre de prendre mille chemins de campagnes pour arriver jusqu’à la capitale alors qu’il y a l’autoroute.

Le fait qu’une joueuse aussi géniale n’a pas pas pu être franche dès le départ sur un sujet si important par peur de jugements d’un public qui ne sait pas ce que c’est d’être pro et tout ce que cela implique m’insurge énormément et me pousse à vouloir débrider les choses. Si vous avez peur de vous prendre une overdose très rapide d’honnêteté, je vous invite à faire demi-tour dès maintenant, parce que je suis pas là pour tricoter. Pas maintenant, pas sur ce sujet. Oui, je vais peut-être outrer certaines personnes qui ne sont pas les truites les mieux oxygénées de la rivière, mais être joueuse professionnelle de basketball, ce n’est pas un métier facile.

C’est beau de vivre de sa passion, c’est ce que chaque parent souhaite pour son gosse, qu’il puisse s’épanouir dans un job où il se plaît. Au départ, beaucoup de jeunes joueuses ne se rendent pas compte de leur privilège. Vivre du sport est merveilleux, mais plus tard ces mêmes femmes regrettent cette époque où elles ne se rendaient pas compte de tous les sacrifices que leur choix de carrière leur imposera plus tard. Les déplacements sont au départ une opportunité de sillonner son pays voire l’Europe sans dépenser, et les jeunettes arrivent à les encaisser sans souci. Au fur et à mesure, ces mêmes matchs de championnat à l’extérieur causent aussi aux joueuses de les écarter de leurs amis, famille et de leur conjoint(e). Des obligations qui peuvent engendrer autant de contraintes physiques que mentales. Oh, un monsieur bougon a une question : “Oui mais après elles ont des vacances pendant trois voire quatre mois donc elles ont du temps pour voir leurs proches ensuite en compensation.” Des quoi ? Vacances ? Pour celles qui partent jouer en WNBA et qui enchaînent potentiellement avec une compétition FIBA lors de l’été, ce mot est vite parti de leur vocabulaire. “Mais c’est leur choix d’aller en WNBA aussi, elles pourraient se reposer en attendant le Mondial et puis tout le monde est content”. Là-dessus, nous avons un point de vue très européen où nous sommes contents de voir nos joueuses effectuer une saison de quatre mois au sein de la ligue américaine en complément de leur saison européenne qui en dure huit. Youpi, hyper bien mais maintenant voyons le verre à moitié vide. La situation est simple : nos meilleures joueuses pourraient s’installer aux États-Unis et vivre uniquement de la WNBA car elles en ont le niveau, mais les petits contrats que la ligue procure les oblige à revenir en Europe pour avoir un revenu convenable et vivre du basket maintenant et après leur retraite surtout. Bien sûr, il y a quelques exceptions américaines qui confirment la règle, car les contrats de partenariats leur sauvent la mise, mais cela ne représente même pas 10% des 144 joueuses que compte la ligue.

Déracinée comme Katie Lou

Donc direction l’Europe pour survivre, à bas les projets sportifs audacieux, ici on veut encaisser gros et réussir à mettre de côté tout en vivant convenablement pendant les quinze ans de carrière qui nous attendent. Et c’est là que les choses se compliquent. Peu de grands clubs de basket féminin se situent dans des grandes villes : Paris, Barcelone, Berlin, il faut descendre jusqu’à Istanbul pour profiter de la vie de membre d’un club majeur européen situé dans une métropole. Prenons l’exemple de Katie Lou Samuelson pour illustrer cet immense choc culturel que peuvent ressentir les joueuses lors de leurs expatriations. KLS sort de quatre ans sur un campus de UConn où elle est vue et appréciée comme une vraie rockstar. Un environnement où tout le monde t’aime de cette manière t’emmène à repousser tes limites, car bon être membre du meilleur programme du pays t’oblige inconsciemment à laisser pas mal d’énergie sur le terrain, tout en essayant d’en garder pour assurer le diplôme à la fin de l’année. Et après un cursus très exigeant, la voilà partie au Sky après avoir été draftée, où il faut continuer à travailler mais cette fois-ci sans la même reconnaissance de la ville. Le mental prend un gros coup mais elle survit, sauf que là, le plus dur arrive : Katie Lou est obligée d’aller en Europe pour se faire de l’argent de poche. Direction la France et la métropole de Charleville-Mézières pendant huit mois, et là c’est la douche froide. Pour trouver quelqu’un dans les Ardennes qui parle convenablement anglais, il faut s’accrocher. La culture basket de la ville est encore moindre, et la distance avec sa famille dont elle est très proche aggrave encore plus sa situation mentale. Le basket ne l’aide même pas à compenser ce manque : elle se blesse au genou dès le début de la saison, et cela l’écarte des terrains pour la moitié des matchs de LFB. La solitude dans un monde inconnu, voilà ce qui a mené KLS à une dépression liée à un fort burn-out refoulé à cause du travail universitaire interminable. Les changements de vie constants et l’adaptation difficile à la vie dans certains pays et certaines villes compliquent la vie de certaines joueuses qui sont réellement obligées de venir en Europe ou autre pour faire de l’alimentaire, et juste encaisser de l’argent.

Quand on est une grande joueuse de basket féminin, on peut donc rayer la case stabilité de sa liste, comme pas mal d’autres choses finalement. Quand on est sportif professionnel, on est plus ou moins entouré d’admirateurs au nombre plus que variable selon les sports. Ca peut aller du millier de fans de Ferrari capables d’attendre dix heures devant l’usine de Maranello juste pour espérer toucher l’épaule de Charles Leclerc à la petite poignée d’aficionados qui suivent leur champion de canoë préféré à chacune de ses compétitions. Et selon ce nombre de fans et la passion qu’ils mettent dans leur sport favori, les pros en face peuvent plus ou moins dire adieu à leur vie privée. Une vie privée réduite du point de vue des sportifs professionnels, mais aussi d’un point de vue juridique, car en France par exemple, la loi réduit le champ de protection de la vie privée d’une personnalité publique. D’accord, comparer la vie d’un pilote de Formule 1 adoré mondialement à une joueuse de Landerneau serait bien sûr disproportionné. Mais sur le papier, leur intimité est réduite dû à leur statut si spécial surtout quand comme je l’ai cité précédemment, la ville où la joueuse évolue est proche de son club de basket. Comme je l’ai dit avant, ces filles-là sont humaines comme toi, moi, la cousine de mon oncle, et elles ont envie de garder cette incertaine notion de vie privée.

Quand tu leur demandes une photo, c’est leur choix d’accepter ou non de la faire, surtout selon le contexte du lieu, de l’horaire et essentiellement comment elle est demandée. Imagine t’es en train de faire tes courses un jeudi lambda à dix-huit heures au Carrefour du coin avec trois entraînements dans les jambes mais une obligation d’y aller car ton frigo est vide. Et là, pile au moment où tu choisis tes nouveaux rouleaux de papier toilette, le fan qui te suivait depuis déjà quatre rayons te demande s’il peut faire une photo avec toi : tu réagis comment ? Tu fais la belle joueuse toute gentille et propre sur elle comme les réseaux sociaux le laisse paraître, ou ton soupçon d’envie d’humanité a envie de refuser en disant qu’il a déjà pris pas mal de photos en pensant être discret depuis quinze minutes… La moindre des choses, c’est de traiter les autres avec respect, pas comme s’ils étaient des bêtes de foire. Oui, ta joueuse préférée fait ses courses de la même manière que toi dans ton appart de 8m2 du CROUS, elle va aux toilettes comme toi et moi, la preuve elle vient d’acheter un pack de douze rouleaux Lotus. Mais gérer des comportements pareils, et malheureusement, devoir apprendre à faire avec, est l’un des inconvénients majeurs de la vie de sportif pro.

Même une double MVP n’a pas de superpouvoirs

Après vient aussi une nouvelle approche de la santé mentale, et de ce rapport spécial à la célébrité et aux fans due au COVID. Imaginons une basketteuse qui joue au basket professionnellement depuis cinq saisons, dans une ville qui supporte pas mal son équipe féminine en plus, la chance. Quand on pratique un sport, c’est souvent pour rendre quelqu’un fier, que ce soit soi-même, son père, sa grande sœur… Et quand on est sportif professionnel, il faut aussi les fans dans cette équation. Des petites filles du club d’à côté qui peuvent venir à chaque match à celle qui attend le match où ton équipe vient jouer contre celle à une heure de route de chez elle, chacune a des étoiles dans les yeux dès qu’elle voit leur idole dribbler ou tirer sur le parquet. Après deux saisons où le monde est devenu amoureux d’elle et que cet amour la porte à devenir meilleure, tous ces contacts avec les fans sont rompus à cause d’un foutu virus qui paralyse une planète entière. Vous voilà écartée du monde entier dans une bulle au fin fond de la Floride pendant un peu moins de trois mois, avec pour seule compagnie vos amies/collègues de travail. Heureusement que dans des temps pareils, Internet existe et permet à vos minis fans de vous envoyer de la force avant les matchs. Même en donnant tout pour ces petites avec ton maillot sur le dos et qui ne ratent pas un match à la télé et que cela mène à un titre de MVP, la relation au vrai monde extérieur reste coupée et altérée. En sortant de cette bulle, le retour au monde réel est brutal, le support n’est plus là et une partie intégrante de la motivation d’une joueuse part en fumée, ce qui peut et cette fois-ci mène à la dépression.

Non, cette fois je n’ai pas inventé d’histoire mais bien celle de A’ja Wilson à la sortie de la Wubble en octobre 2020. Sans vrai contact humain, tout peut s’effondrer autour de vous. Même l’amour digital que l’on peut recevoir ne peut pas compenser les sourires et les étincelles des jeunes filles qui ont l’impression en levant la tête vers les étoiles de voir une vraie super-héroïne en face d’elle. Et en parlant d’amour reçu sur Internet, il va falloir aussi parler de la haine que peuvent recevoir les joueuses sur les réseaux sociaux. Parce que dans la bulle, sans ces interactions physiques plus que positives, l’amour et la haine digitale sont maintenant au même niveau, et il est difficile de compenser les commentaires négatifs. Des parieurs aigris à cause de leur combiné raté à cause de la défaite de ton équipe aux machos qui pensent que le basket féminin est une hérésie, la liste peut être longue pour avoir une infime raison de plonger dans les messages privés d’une joueuse et de la traiter de tous les noms. Mais il faut encore vous le rappeler, si on inversait la situation, comment réagiriez-vous ? S’énerver et répondre n’est pas la bonne option, pour l’image publique c’est même la pire. Rester stoïque et faire style que rien ne s’est passé est plus envisageable, mais il faut avoir le mental assez solide pour pouvoir tout prendre sur soi. Mais personne n’est inatteignable dans ce monde, et le mauvais message de trop peut suffir pour mettre votre joueuse favorite à K.O.. Donc oui, tout le monde est fragile, donc si tu peux lui éviter cela, essaie de protéger ta joueuse préférée en lui rappelant que tu l’admires, surtout en face à face : tout est dans le regard étincelant on a dit.

Quand j’étais à l’école primaire, les joueurs et joueuses qui arrivaient à dunker ou à faire des passes dans le dos sans broncher me faisaient rêver. Au collège, ceux et celles qui lisent le jeu comme dans un livre ouvert ou qui seraient prêts à laisser un poumon sur le terrain pour que leur équipe puisse gagner étaient mes idoles. Aujourd’hui, j’ai vingt piges dans pas si longtemps, mes modèles sur un terrain de basket le sont aussi pour des raisons extra-sportives. Ce sont des personnes qui arrivent à rester fortes et à garder le sourire alors que tout leur monde à côté est en train de s’écrouler, mais aussi des sportifs professionnels qui n’ont pas peur de parler de leur condition mentale, qui ne sont pas effrayés de dire que ça va mal quand plus rien ne va dans leur sens. Dans les deux cas, je respecte énormément ces hommes et ces femmes, car pour moi, c’est ce que doit être la représentation de la santé mentale dans le monde du sport. Le monde dans lequel on vit est chaotique, et il est impossible de voir la vie en rose 24h/24, 7 jours sur 7, on le sait tous, c’est humain d’avoir des coups de moins bien. Et pour la jeunesse de nos jours, c’est aussi très important d’avoir ces modèles, qui sont aussi humains qu’eux même s’ils ont un QI basket de 200 ou qu’ils font quatre têtes de plus qu’eux. Faire comprendre aux minots que c’est normal d’avoir des jours sans, qu’il est commun pour quelqu’un de passer une journée sans sourire. Mais également que même si ces périodes sombres semblent durer une éternité, les nuages gris partiront et le soleil reviendra forcément, que ce soit par eux-mêmes ou grâce à quelqu’un qui a réussi à éclaircir votre ciel. C’est peut-être difficile à le croire comme ça, mais je l’assure car je l’ai vécu.

Tes joueuses préférées ne sont pas des super-héroïnes, et j’espère que tu l’as désormais compris. Vivre de sa passion, c’est beau mais il impose aussi des sacrifices très durs à percevoir à l’œil nu parfois. Mais observer et comprendre ces derniers peuvent aussi l’être l’une des raisons pour lesquelles cette nana est ta joueuse favorite. En tout cas, je l’espère. Allez, à la prochaine.

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